I – Pas de super-héros sans identité secrète |
II – La fin d’une époque ? |
II – Identité évoluée ?
Le masque de la peur, masque de la justice ?
Le port du masque est un débat récurent que le héros fuit, ou auquel il trouve des parades. Parmi ces parades, cette fameuse protection des proches, pleinement justifiée. Mais ce masque, ne serait-il pas le symbole d’une peur cachée ?
En devenant un héros, notre personnage assume prendre des risques, se mettre en danger. Comme se révéler et devenir populaire devient un risque. On trouve nos admirateurs et nos détracteurs. Porter un masque revient à devenir quelqu’un d’autre, d’où toute cette dissociation entre le civil et le héros. En devenant quelqu’un d’autre, le héros se lave de toute implication de ses proches, mais également de sa personne.
L’identité rejoint le débat de la justice rendue. Un super-héros ne répond officiellement à aucune autorité. Il ne rend de compte à personne. En portant un masque, il se protège des conséquences de ses actes. Quel serait le scandale si l’identité de Bruce Wayne venait à être révélée ? Batman Year One révèle assez bien ce débat. Ce jeune fou, déguisé en chauve-souris est pourchassé par la police de Gotham. Seul Gordon va accepter son aide et lui faire confiance.
L’existence de Batman n’est, aux yeux de la loi, que simplement tolérée par cet inspecteur devenu commissaire. Lorsqu’il prend sa retraite dans The Dark Knight Returns, pour rester avec l’oeuvre de Frank Miller, le nouveau commissaire ne partage pas cet avis, et déclare Batman hors-la-loi car cette relation fragile entre la loi et le justicier est rompue. En cela, le film The Dark Knight (Christopher Nolan) illustre parfaitement à la fois, l’engagement de Batman dans sa cause défendue, et la pression sociale qu’exerce le système judiciaire sur son application et son contrôle.
Une double identité sert à se protéger, certes. Mais plus encore, l’activité de justicier peut avoir une valeur renforcée. Lorsqu’une double identité est pertinente, les deux activités peuvent se confondre. Le cas le plus probant est celui de Daredevil, dénonçant les limites de la justice pour une justice plus… discutable ?
La révélation de l’identité de Daredevil est un gimmick régulier chez le personnage. Il en est déjà question en 1966 (Daredevil #17). Suite à une altercation avec Spider-man reposant sur un quiproquo, l’homme-araignée entre dans le bureau de l’avocat et sent, grâce à son spider-sens, que Daredevil se trouve dans la pièce. Ne pouvant s’agir de Matt Murdock, il se rue sur Foggy Nelson. Les suspicions portées sur l’avocat, la rumeur va s’ébruiter et venir aux oreilles du maraudeur, jusqu’à devenir un véritable gimmick à Hell’s Kitchen.
Mais les plus marquantes sont celles des années 90. La première, en 1995, durant le run de Dan Chichester avec l’arc Fall form Grace (Daredevil #319-325), dessiné par un Scott McDaniel lorgnant du côté de Miller, où Matt Murdock doit se faire passer pour mort afin de se protéger. Il n’est pas question d’un entourage, mais de sa propre survie. Cet arc fait sombrer Matt Murdock. Son secret sur le point d’être découvert, Matt se fait passer pour mort. Son existence en tant qu’avocat doit demeurer secrète. Réduit à l’identité de Daredevil, le personnage en ressort appauvri, résolument plus sombre, à l’image de son nouveau costume et de la décennie dans laquelle s’inscrit cette histoire.
Le second est celui de Brian M. Bendis avec Out (Daredevil #32). Désormais la plus connue, lorsqu’un journal local révèle, suite aux investigations de services secrets, l’identité de Daredevil. Celle-ci appuie la métaphore d’une justice aveugle, avec un Matt Murdock niant les faits malgré la lourde accusation afin d’y semer le trouble. Symbole d’une justice hypocrite qui ne cherche qu’à avoir le dernier mot.
Mais la plus intéressante et osée, sur le plan de la révélation et de la double identité, reste celle orchestrée par Mark Waid en 2014. Daredevil devient Matt Murdock. Plutôt que de fuir la révélation, Matt Murdock va l’accepter et s’y adapter. C’est le point de départ pour une identité secrète remaniée. Pour un super-héros modernisé à visage découvert.
Tourner autour du pot
Le super-héros se passe de plus en plus de cette identité. Il évolue de sorte à perpétuer ce phénomène d’identification mentionné plus haut. Plusieurs facteurs motivent les scénaristes et éditeurs à faire leurs adieux aux identités secrètes, poussé par un lectorat transformé.
La première raison, et la plus évidente, est que les comics ont surexploité le concept. Si chaque super-héros possède son identité secrète, il possède son récit la révélant. Sa surexploitation l’a transformé en cliché. Les phénomènes de révélation n’avaient pas de réel impact, d’autant plus aujourd’hui.
Nombreux sont ceux qui se souviennent du fameux One More Day de Spider-man par J. M. Starczynski et Joe Quesada. L’histoire se conclut autour d’un pacte entre Mephisto et le héros, pour annuler la révélation de son identité, la fin de son mariage et la résurrection de Tante May. Un arc sacrifié pour amener le personnage rapidement à une situation visée, qui fait en réalité office de raccourci. Pourquoi ne pas faire divorcer Peter et Mary-Jane ? Pourquoi ne pas assumer cette révélation si récente ? La haine envers cet arc ne se limite pas à son contenu, mais à ce qu’il représente : un raccourci invraisemblable révélateur des motivations industrielles.
Mais le premier à en abuser est Superman. Peut-être l’avez-vous déjà oublié, mais Lois Lane venait déjà de nous révéler l’identité secrète du boy-scout dans l’arc Truth en 2015. Son identité est l’objet d’histoires innombrables s’étalant sur les 80 années d’existence du personnage, de Action Comics à Lois Lane : Superman’s Girlfriend.
Dans Superman #127 (1959), écrit par Jerry Coleman et dessiné par Curt Swan, l’histoire « When there was no Clark Kent ! » Clark enquête discrètement. Lorsqu’il est pris dans le souffle d’une explosion, ses vêtements se déchirent et il se retrouve en costume de Superman. Lois arrive sur les lieux, et Superman se voit obligé d’enterrer son identité secrète. Il décide de vivre sans et demande à Jimmy Olsen de l’héberger dans son appartement. Rapidement, la foule remarque Superman rentrer et sortir en costume par la fenêtre du bâtiment. Elle s’agglutine, dans l’attente d’une énième apparition et avec elle les pièges d’ennemis. Causant du tort à Jimmy, Superman décide de ne plus jamais vivre sans identité secrète sous laquelle se cacher. Et cette exemple de justification a tout l’air d’une mauvaise excuse amusante pour apporter un semblant de réponse à la question.
Étrangement, cette courte histoire rappelle le fil rouge des Action Comics Rebirth de Dan Jurgens avec la présence de Clark Kent, qui ne saurait être Superman. L’exotisme de l’ancien continue, malgré son allure passée, d’inspirer les récits d’aujourd’hui. Avec plus ou moins de succès, le comics ne cesse de revenir à ses thématiques, à la différence qu’aujourd’hui, le souci de l’univers canonique impose des réglementations plus difficiles à satisfaire.
Et cette question éternelle : « Une paire de lunettes peut-elle cacher l’identité du plus grand super-héros ? « .
La moquerie des fans aura sans doute eu raison de lui. Brian M. Bendis a mis un terme à cette idée, avec plus ou moins de succès, mais révèle une volonté d’adapter Superman à son temps. Si le public pointe du doigt cette incohérence majeure, les auteurs utiliseront avec malice cet élément pour en jouer ou adapter le personnage à son temps.
Le lecteur n’est plus aussi dupe et se laisse bien moins aller à la fantaisie qu’autrefois, préférant un éventail de super-héros ancré dans sa propre réalité ou du moins son reflet. Ces exigences amènent le super-héros à devoir se réinventer, et parfois modifier sa nature.
Réinventer les codes du super-héros
Le lectorat a changé. On généralise souvent, mais l’impact des réseaux sociaux a changé notre mode de vie. En particulier notre rapport à notre image. On se révèle, on partage des informations personnelles. Les comics tentent de s’adresser au mieux au public, et de refléter notre monde. Le super-héros devait évoluer avec ses lecteurs.
Les codes évolues. Avec les années 2000, le super-héros s’est approfondi. Il a ses tares, ses qualités. L’identification s’opère à travers les qualités du héros, mais également ses défauts. Ainsi, Tony Stark a été le porte-étendard du super-héros moderne en révélant son identité secrète à plusieurs reprises : dans Iron Man #35 par Mike Grell, qui n’a que des conséquences minimes, puis lors de Civil War dans Civil War : Front Line #1. Une double révélation qui est maintenue et révèle que chaque super-héros n’a pas nécessairement besoin d’une identité secrète. Si bien, qu’aujourd’hui, on ne peut imaginer un contexte où Iron Man aurait une identité secrète.
Néanmoins, l’identité secrète reste efficace lorsqu’elle est entretenue. Le comics se voulant hyperbolique en tout point tend à oublie que le suspense n’est pas la révélation, mais les risques de révélation. En cela, Robert Kirkman avait trouvé une parfaite gestion de l’identité secrète dans Invincible. Mark Grayson cache son identité grâce à un costume, et donc un masque. Il protège son identité pour protéger sa mère, comme le fait son père, Omni-man.
Mais avec le temps, Mark grandit et son évolution ne nécessite plus vraiment de porter un masque. Le gouvernement connaît son identité secrète, certains ennemis aussi, et les luttes en tant qu’adulte vont l’amener à remettre en question le masque, mais également le costume. Le combat final est révélateur. Mark ne se bat plus en tant que super-héros, pas en tant qu’Invincible, mais en tant que Mark Grayson. Tout ce qu’emprunte Invincible à Spider-man sur l’alter-ego, comme un héritage de Steve Ditko, Kirkman le développe, le modernise et fait élever ce lieu commun du comics pour l’élever à un nouveau degré.
Et c’est très certainement ce qui fait la difficulté de créer un super-héros moderne. La révélation, mettre fin à l’identité secrète est une forme de facilité au même titre que « La mort de … » pour en relancer les ventes. Et c’est bien la qualité de Kirkman avec Invincible que de se confronter aux difficultés du genre.
Les super-héros actuels peuvent se passer d’une identité secrète. Le lectorat actuel vit depuis plusieurs décennies avec une technologie qui trouve de plus en plus sa place dans les foyers. Une technologie qui pousse chacun à se révéler un peu plus à travers différents réseaux sociaux. Nous nous révèlons sans masque aux yeux d’inconnus, et en cela, le masque des super-héros devient obsolète, à moins de donner du sens à ce masque et non plus des excuses absurdes. Les temps changent, et les super-héros ne peuvent se séparer d’éléments aussi iconiques que la double-identité. Alors oui, les super-héros ont besoin de cette double-identité, même s’ils apprennent à s’en passer aujourd’hui.