Artistes absents des crédits du film. Dessinateur absent de la couverture de l’album. Les faits sont nombreux lorsqu’il s’agit de reconnaître les artistes de comics. Si ce sujet est rarement évoqué, c’est qu’il est très difficile de l’aborder correctement, la faute à un manque cruel de données aux Etats-Unis. Il est donc, par exemple, impossible d’avoir un ordre d’idée du nombres d’artistes aux Etats-Unis.
Ainsi, il sera question aussi bien de la condition du métier, derrière les belles images énoncées par les artistes eux-mêmes, que du manque de reconnaissance.
Artiste de comics, un métier difficile ?
Aux Etats-Unis, les métiers concernant les artistes du neuvième art sont peu variés. L’art séquentiel intéresse la presse et l’industrie du comic-book. Plus obscure, divers auteurs/artistes aspirent à la création d’un graphic novel. Ces métiers étant liés par les capacités requises, l’artiste de comics peut aisément toucher à ces domaines. Et cette liberté est bien l’un des rares avantages dont il va pouvoir profiter.
Outre les rockstars de l’industrie comme Greg Capullo ou John Romita Jr., un artiste vit avec un salaire peu élevé. En cela, il gagne moins qu’un dessinateur de presse (format strip ou autres). Plus de la moitié des artistes de comics vivraient sous le seuil de pauvreté aux Etats-Unis selon une étude menée par SKTCHD Survey.
Sont englobés dans cette étude un échantillon de 133 personnes s’affirmant comme artistes. Ils peuvent publier dans une revue de presse comme sur des plateformes numériques type WebToon. Les artistes de comics réguliers font partie de ceux liés à un contrat à la page (pigiste). Autrement dit, le moins rentable.
En somme, le métier d’artiste se trouve très loin de la vie de rêve ancrée parmi les fantasmes des lecteurs. On se dira qu’il est ordinaire de gravir les échelons pour briller dans le métier. Encore faut-il en avoir l’occasion. Encore faut-il avoir la visibilité requise.
Implication artistique et querelles internes
Au delà de la désignation d’un album ou d’un personnage, différents auteurs et artistes se battent pour la reconnaissance de droits de création. Ces conflits touchent généralement les créateurs le plus célèbres pour une question d’argent. Étonnant, non ?
Sous ces scandales, il peut également s’agir d’une remise en question de la responsabilité de l’artiste ou de l’auteur dans la création d’un comic-book. Cette quête de reconnaissance pourrait dissimuler une quête de pouvoir. La domination d’une profession sur une autre. Il s’agirait là de remettre en question les distinctions entre les professions, entre ceux qui ordonnent et ceux qui exécutent. Et sur ce point, il semblerait que la chaine de création puisse répondre à la question.
Si la maison d’édition possède les droits des licences, l’éditeur est maître de donner ou non un espace de création à l’auteur et à l’artiste. Il coordonne le lien du titre avec les autres publications, ce qui s’est produit avant et ce qui se produira par la suite.
Ensuite, le scénariste écrit le script en indiquant les dialogues et certains détails visuels. Une fois le script terminé, le dessinateur l’adapte en tenant compte des remarques et en profitant des espaces de libertés laissés par le scénariste. S’en suivent les étapes liées à l’encrage, la couleur et le lettrage – quand on parle de métiers de l’ombre, autant les évoquer.
Ainsi, cette quête de domination n’est qu’une communication qui profite des zones floues de la création. Et à ce sujet, ce sont souvent les scénaristes et les dessinateurs qui se pavanent lorsqu’il s’agit de revendiquer son rôle dans la création d’un personnage. Personnage, dont les droits sont généralement possédés par la maison d’édition.
Quitte à prendre une affaire populaire, prenons celle de Deadpool avec la querelle éternelle entre ses co-créateurs Rob Liefield et Fabian Nicieza. Mais Deadpool serait-il aussi apprécié aujourd’hui sans le run de Joe Kelly ? Ou est-ce le design de Rob Liefield qui a rendu le personnage si populaire ? Le succès d’un personnage est une convergence d’éléments à travers lesquels il s’est construit et a évolué. Et la reconnaissance ne reviendrait pas à un dessinateur, ou un scénariste, mais aux équipes créatives ayant enrichi le personnage.
Et nous sommes aujourd’hui très loin de reconnaitre l’importance du travail des artistes sur un personnage – qu’ils l’aient créé ou non. Cependant, la comparaison du travail scénariste / dessinateur se trouve être particulièrement intéressante puisqu’elle révèle une reconnaissance basée sur la productivité et l’association à un nom.
Procédé créatif et comparaison scénariste / artiste
Dans cette conception d’un travail collaboratif, l’éditeur adresse autant de passion dans son travail que l’artiste et les autres intervenants dans ce procédé. Mais il faut tenir compte de la charge de travail de chacun. Le scénariste peut écrire plusieurs titres quand le dessinateur peine à tenir le rythme d’un numéro par mois.
La charge de travail est différente et plus lourde pour l’artiste. Un dessinateur décroche bien souvent au bout de quelques arcs. Rares sont ceux qui ne sont pas remplacés sur l’année. En somme, un scénariste est plus facile à associer à un titre qu’un dessinateur qui sera remplacé temporairement ou définitivement par un autre. On parlera du run de Tom King, du run de J. M. Straczynski. Jamais du run de Adam Kubert ou celui de Mitch Gerads.
L’artiste souffre de toute évidence de ce décrochage. Il livre un travail parfois bâclé, la faute à des deadlines trop courtes. Aux yeux de maisons d’édition comme Marvel ou DC, l’important reste la publication du contenu. Chaque titre doit voir son numéro sortir à tout prix.
En prêtant une légère attention à la communication des éditeurs, on remarque bien qu’ils jouent sur certaines informations pour en éclipser d’autres. Récemment, DC Comics a communiqué sur la sortie prochaine de The Riddler: Year One écrit par l’acteur Paul Dano. Si un visuel a été utilisé pour soutenir le message, le dessinateur n’a pas été communiqué par l’éditeur.
Tout porte à croire que l’auteur tiendrait un rôle plus important que celui du dessinateur. Et il ne s’agit pas là d’un cas isolé. Lors de festivals immenses comme la San Digeo Comic Con, les panels concernant le futur de certaines séries mettent en avant les scénaristes, et très rarement les dessinateurs.
Le conflit entre auteur et artiste est donc bien légitime. Or, ce conflit ne se trouve pas entre les deux créateurs, mais bien contre la maison d’édition et le système actuel. A ce sujet, Augie De Blieck Jr. livre un billet très péjoratif sur la condition d’artiste dans le monde des comics.
« Merci Marvel ! », « Merci DC ! » : Où est passée la reconnaissance ?
Autre barrière pour les artistes, les lecteurs eux-mêmes. On parle d’un titre Marvel, d’un titre DC. Le Punisher est une création Marvel. Et si cette information est véridique, la reconnaissance du locuteur va se tourner vers la maison plutôt que les créateurs : Gerry Conway et John Romita Sr.
Qui va suivre le nom d’un artiste plutôt que celui d’un scénariste ? Lisons-nous pour les histoires ou le style graphique ? Sans pouvoir en attester via une étude plus sérieuse, ma simple observation me laisse penser que l’histoire prime aux yeux des consommateurs français.
Cette justification un peu légère se confirme par les éditions américaines qui ont tendance à mettre en avant le scénariste : Punisher by Garth Ennis, Venom by Donny Cates. Et pourtant Ryan Stegman a tenu une place importante sur le titre Venom en tant qu’artiste principal, tout comme Steve Dillon sur le run de Ennis.
Ainsi, dans le discours du lecteur, l’histoire est nommée en y associant le scénariste et en occultant le dessinateur. La reconnaissance n’est pas totalement absente chez le lecteur. Elle est détournée vers la maison d’édition et le scénariste.
Auteur et artiste : vers un talent de communication
Il s’agit ni plus ni moins d’accorder à l’artiste du crédit pour le travail accompli, dans le but d’accroître leur notoriété. Car la communication est devenue vitale pour l’artiste. Effectivement, les artistes gagnent un supplément en réalisant des commandes (covers, prints, commissions) et en vendant des planches originales. Mais leur situation reste semblable à celle d’un free-lance : particulièrement instable.
Il y a évidemment une finalité financière dans cette démarche. L’artiste aspire à être recontacté, du fait de son gain de popularité. Mais il y a derrière ça une notion de respect envers les personnes impliquées dans le processus créatif des comics, ne tenant qu’aux éditeurs, aux journalistes, à ceux qui parlent de ces œuvres.