En 2003, Kurt Busiek et George Perez donnent vie à l’un des plus grands fantasmes des fans : la rencontre entre la Justice League et les Avengers. Mais bien avant ce projet dantesque, Marvel et DC avaient déjà lancé un projet de rencontre entre leurs équipes super-héroïques. Retour sur l’histoire des crossovers et l’annulation de ce qui s’annonçait comme le plus grand crossover de tous les temps.
L’origine des crossovers DC / Marvel
Il ne s’agit pas de la première collaboration entre DC et Marvel, loin de là. Celle-ci remonte à 1976. Cette année là, Superman / Spider-man ouvre le bal des rencontres dans un format prestigieux, appelé Treasury Edition. Le numéro est évidemment un succès commercial. Et pourtant, cette première rencontre a bien failli ne pas voir le jour. Il a fallu de nombreuses et longues négociations concernant la répartition des bénéfices, le format, le prix et surtout, les artistes.
A l’époque, Dick Giordano dirigeait la rédaction de DC Comics, alors que Jim Shooter était à la tête de Marvel Comics. Ensemble, ils trouvent un accord pour constituer une équipe artistique ayant aussi bien travaillé pour Marvel que pour DC. Des artistes en lesquels les deux compagnies ont confiance. Pour Superman / Spider-man, on retrouvera Roy Thomas – bras droit de Stan Lee au lancement de Marvel Comics -, Ross Andru au dessin et Dick Giordano lui-même à l’encrage. Ross Andru ayant majoritairement officié sur Spider-man, DC fera appel à Neal Adams pour modifier/corriger certains dessins de Superman.
En 1981, les éditeurs remettent le couvert avec Batman / Hulk, et une nouvelle équipe artistique : Len Wein (Hulk, Detective Comics) et José Luis Garcia Lopez (Superman). En 1982, la rencontre des deux grandes équipes des 80s avec X-men / Teen Titans écrit par Chris Claremont lui-même et dessiné par Walter Simonson.
Les deux éditeurs comptaient bien continuer à capitaliser dessus. Les rencontres se multiplient au début des années 80s. Et parmi elles, un projet était lancé, sans avoir eu la chance de voir le jour : Justice League of America / Avengers.
JLA / Avengers : L’histoire principale
Le crossover était prévu pour l’été 1983. A l’origine, George Perez était pressenti pour illustrer la rencontre entre les Teen Titans et les X-men. Faute d’une charge de travail importante, il doit se retirer du projet pour s’occuper de JLA / Avengers. Au scénario on retrouve le duo d’amis Roy Thomas et Gerry Conway.
Ce crossover devait mettre en scène Le Seigneur du Temps (renommé Epoch par la suite) et Kang le Conquérant. Tous les deux étaient en quête d’une pierre capable de modifier le cours du temps. Pour mettre fin à toute forme d’opposition à leur plan, ils manipulent les membres des Avengers et de la Justice League pour les faire s’affronter à diverses périodes historiques.
Les confrontations étaient organisées de sorte à ce que chaque personnage se batte contre son équivalent. Ainsi on retrouvait Batman face à Captain America, Flash contre Quicksilver, Green Arrow contre Hawkeye et ainsi de suite. George Perez dira qu’il était particulièrement motivé pour illustrer l’affrontement entre Superman et Thor durant lequel Superman tentait de retenir Mjolnir.
L’idée de Gerry Conway était de ne pas mettre en avant une équipe par rapport à l’autre. En les faisant s’affronter, il réglait ce souci du temps d’apparition. Mais le manque de motivation et de sens a fait réagir Jim Shooter, le directeur éditorial de Marvel Comics.
Différents créatifs ou caprice éditorial ?
Lorsque Jim Shooter a appris que Perez avait commencé à dessiner le premier numéro, il a envoyé à Dick Giordano une lettre dans laquelle il lui demande de ne rien considérer comme étant approuvé par Marvel s’il ne l’avait pas approuvé lui-même. On se retrouve dans la configuration type qui a pu créer tant de tensions entre Jim Shooter et les artistes de l’époque. Il s’implique plus qu’il ne devrait dans les projets confiés à une équipe créative.
Len Wein, co-éditeur avec Jim Shooter de la rencontre entre les deux équipes, ira jusqu’à l’appeler , afin de corriger les éléments qu’il trouvait déplaisants et de le rassurer. Rien n’y fait. Jim s’obstine à garder un contrôle total sur le projet et veut relire le script avant que George ne se mette à dessiner.
Il est fort probable que les artistes aient tenté de mener le projet comme ils l’entendaient en ne prêtant aucune attention aux demandes de Jim. Loin d’être dupe, il commençait à céder dans sa correspondance avec Dick Giordano, directeur éditorial de DC Comics :
« Je serais heureux de voir des copies des vingt pages que vous dites que George a dessinées, ainsi qu’une intrigue révisée. Il est possible que les pages soient utilisables ou récupérables… […] Encore une fois, aucun travail sur ce projet ne doit être considéré comme approuvé avant que vous ne receviez une approbation écrite de ma part. »
Back Issue #1, Octobre 2003
Giordano a ensuite fourni à Shooter une copie de l’intrigue révisée, à laquelle Shooter a répondu :
» Ce que nous avons ici est essentiellement la même intrigue que j’ai rejetée auparavant avec quelques petites retouches. […] Elle n’a pas de sens. Il va falloir l’écrire presque à partir de zéro. Désolé. »
Back Issue #1, Octobre 2003
Nous sommes en Mai 1983, et le projet stagne depuis plusieurs mois. Pourtant les auteurs, artistes et éditeurs communiquent autour de ce projet sensationnel. Les lecteurs de comics étaient impatients. Ils pouvaient également sentir une forte tension entre les deux éditeurs à travers les interviews données par l’équipe artistique. Marvel était pointée du doigt comme le responsable du retard concernant la rencontre et son éventuelle annulation.
En Mai 1983, un billet sera dédié à cette affaire JLA/Avengers et l’histoire rejetée dans la revue d’information Marvel Age #19. Sans aucune signature, ce billet défend Jim Shooter et la maison d’édition d’être la cause de cette annulation. Il remet en question, au contraire, l’implication de Dick Giordano.
En janvier 1985, la rubrique « Meanwhile… » de DC Comics, intitulée « Justice League of America vs. The Avengers : The Death of a Dream » apporte une autre version des faits. Dick Giordano s’exprime concernant le contenu publié dans Marvel Age #19. Ce billet est à ses yeux la version de Marvel vis à vis de cette histoire. Il va jusqu’à remettre en cause certains propos incomplets et dont la rédaction aurait passé sous silence certaines informations.
La correspondance entre Dick Giordano et Jim Shooter révèle que Shooter avait bien accepté les modifications apportées par les auteurs. La deuxième version du plot devait avoir lieu. Cependant, il restait réfractaires face à certains éléments. Dick Giordano insistait auprès de Jim Shooter pour qu’il partage avec l’équipe créative une liste des éléments qu’il souhaite modifier. Chose que Jim Shooter transmettra à Giordano tardivement.
Les Sentiers de l’annulation
La source de ce conflit, et la cause de cette annulation, résiderait dans l’opposition des deux méthodes. Dick Giordano faisait confiance aux auteurs pour terminer leur histoire, là où Jim Shooter voulait avoir toutes les informations pour donner son approbation.
Shooter a sans doute laissé le projet couler volontairement, évitant tout échange avec Giordano. George Perez quitte le projet en Septembre. Et c’est à ce moment que Jim Shooter aurait envoyé une lettre datée du 28 septembre dans laquelle il présente la liste des modifications à apporter à l’intrigue.
– Ant Man ne devrait pas être inclus. Il n’est pas un Avenger et ne serait pas impliqué.
– Quicksilver doit venir d’Attilan, où il vit, qui est sur la lune.
– Le marteau de Thor ne peut pas suivre une piste dans le temps. Il a perdu toutes ces capacités il y a quelque temps.
– Hawkeye est marié maintenant, un fait qui devrait être mentionné dans la scène avec Black Canary.
– Vision a fait preuve d’émotions – il ne devrait pas être affecté par l’Œuf de Shiva car il est non biologique, et non pas non émotionnel.
– Une course Quicksilver/Flash est ridicule, car Flash court à la vitesse de la lumière et Quicksilver ne peut même pas atteindre la vitesse du son. Flash devrait peut-être se mesurer à Captain Marvel, qui peut atteindre la vitesse de la lumière sous sa forme énergétique.
– Quicksilver ne pourrait pas non plus aider Flash à alimenter en énergie le tapis roulant cosmique improvisé de quelque manière que ce soit.
– Firestorm et Captain Marvel ne sont probablement pas égaux comme mentionné puisque Firestorm contrôle l’énergie nucléaire et CM peut devenir n’importe quelle énergie, y compris nucléaire.
Back Issue #1, Octobre 2003
Dans cette même lettre, Jim Shooter demande à ce que ces problèmes soient corrigés. Et puisqu’un dessinateur est manquant, il recommande Don Heck qu’il souhaite amener sur le projet. Il n’y a donc rien d’étonnant à entendre par la suite George Perez dire que Jim Shooter ne voulait pas de lui sur ce crossover.
DC et Marvel se rejetant mutuellement la faute. Le projet tombe à l’eau.
JLA / Avengers (2003) : Réalisation d’un rêve
Il faudra attendre 1994 pour que George Perez récupère les planches réalisées pour ce projet. DC Comics les conservait, pensant qu’un jour, le projet referait surface. En 1994, pour DC Comics, il n’y avait plus aucune chance de voir la JLA croiser la route des Avengers.
La même année, George Perez les vend à Rob Liefield. Ce dernier lui propose de les afficher lors d’une convention en Caroline du Nord (la Shelton Drumm’s Heroes Convention). En plus de les afficher, George Perez a présenté l’histoire qui devait y être racontée, ainsi que les idées retenues pour le second numéro.
20 ans après le lancement de ce projet, Joe Quesada offre à George Perez l’occasion de réaliser ce qui devait être son crossover. Le nouveau directeur éditorial de Marvel Comics répara l’injustice en proposant à George Perez de réaliser le crossover aux côtés de Kurt Busiek – avec qui il avait déjà travaillé sur le titre Avengers (1998). JLA / Avengers verra enfin le jour en 2003.
Ce crossover connaîtra un sursaut en 2022 avec la réédition d’un TPB limité à 7000 exemplaires en hommage à George Perez, alors atteint d’un cancer.
Quand le fan réalise le rêve de l’artiste
Cependant, ce projet annulé aura donné naissance à toute une génération. Le résultat aurait-il été le même ? Le crossover aurait-il été un véritable fiasco ? Avec le regain d’intérêt pour la rencontre entre les deux équipes, de nouvelles informations et archives ont été révélées. Récemment, le plot de Gerry Conway a été rendu public et est entièrement consultable sur le site de Tom Brevoort.
Avant que l’intégralité du plot ne sorte, Roenin Doodles a travaillé les planches de George Perez et ses travaux préparatoires pour offrir, à l’artiste, un exemplaire de ce numéro qui aurait du paraître 30 ans plus tôt. Roenin a réalisé un travail colossal, seul, pour donner vie à ce premier numéro. Script, encrage, couleurs, lettrage et impression. Il a pu partager sur sa page Facebook des vidéos fournies par la famille de George Perez, afin de le remercier pour cette initiative impressionnante.
Un projet annulé n’est pas un projet mort. C’est un fantôme dont les lecteurs nourrirons leurs fantasmes et alimenteront plus ardemment leur passion.