Horreur et sexe ne font pas toujours bon ménage. Pour autant, ils sont souvent associés. Dans le cinéma, It Follows aura marqué plus d’un spectateur en justifiant la fonction de l’acte sexuel justement comme un code absolu, voir une nécessité. Les comics n’en sont pas étrangers. Outre les publications françaises, les Etats-Unis regorgent de mauvais comics du genre. Et sans raison évidente, Panini Comics s’est décidé à livrer une édition française de La Discipline en 2018. Cette mini-série issue de Image Comics est écrite par Peter Milligan (Hellblazer, X-Statix) et dessinée par Leandro Fernandez (The Old Guard, Punisher).
LA DISCIPLINE GRATUITE ?
La présence de Peter Milligan apporte une certaine explication. Ce titre indépendant publié chez Image Comics a connu un petit succès aux Etats-Unis. On y découvre le personnage de Melissa, une belle jeune femme à la crinière rousse. Elle possède une situation, vit avec son compagnon et fait des efforts pour soutenir sa famille qui la rejette néanmoins. Cette dernière est jalouse de l’élévation sociale qu’a connue l’une des deux filles. Dans un jeu de séduction, une créature métamorphe et anthropomorphe, du nom d’Orlando, se verra dans l’obligation de séduire Melissa après avoir séduit sa sœur. Face à cette révélation, Melissa ne réalise pas encore qu’elle a fait le premier pas vers la découverte de sa véritable nature.
Très penché vers le genre érotique pour atteindre celui de l’horreur, La Discipline prend de grands risques. Le sexe ne possède pas de réelle justification dans le récit, mais est un outil visant à révéler chaque protagoniste dans une forme d’intimité. Peter Milligan joue à la fois du domaine de la magie et de l’existence extra-terrestre. Tant de domaines liés à l’étrange qui vont imager le propos du scénariste. Sous ces horreurs, sous cet érotisme, ce n’est qu’à travers le pire que nous nous révélons et il semblerait bien que La Discipline tente une réflexion sur notre nature et l’impact de la pression sociale sur celle-ci. De véritables bonnes intentions à garder en tête pour véritablement apprécier cette lecture.
Le lecteur manque de repères. Il est plongé dans un univers, à la manière de Melissa, sans réellement tenir les règles fondamentales de ces milieux. Deux camps s’affrontent et usent de la séduction, de la persuasion pour arriver à leurs fins/faims. De cette manipulation cruelle découle une insensibilité dans l’évolution du récit. Celui-ci se veut progressif. La violence, les scènes de sexe deviennent de plus en plus crues et violentes. Mais elles ne se font pas ressentir comme tel. Sans atteindre une certaine gratuité, c’est un manque de justification qui ressort de l’univers présenté. Conséquence d’une prise de risque qui est de présenter son univers uniquement à travers des révélations disséminées dans la narration.
LA DISCIPLINE RÉFLÉCHIE
Derrière son premier contact abrupte, La Discipline cache quelque chose. Peter Milligan tient souvent ce genre de jeu dans ses créations. Il dévoile une part de lui. Et connaître le scénariste, permet d’en comprendre bien plus sur ses travaux. S’il peut tomber dans des facilités, succomber à des influences, son oeuvre apporte bien souvent quelque chose à son lecteur. Exception faite de Melissa, les autres personnages souffrent d’une caractérisation simpliste et d’une évolution bien trop linéaire. Mais c’est autour de la question du sexe que la problématique se pose. Que fait-il dans cette histoire au fond très classique d’une opposition entre deux races de créatures ? C’est tout le regard du lecteur sur le sexe qui est remis en question. Est-il acte d’amour ou de meurtre ? Est-il beau ou est-il perturbant ?
Ce contraste, Peter Milligan le dresse sans apporter de réel élément de réponse et nous laisse libre d’interpréter. Le manque d’insistance sur les pistes de réflexions grandes ouvertes de ce genre particulier et décrié, est frustrant. Les idées sont déposées, mais le récit ne profite pas de celles-ci pour se construire.
Des idées au service du récit, alors que le récit devrait être au service des idées. Ce qui donne à l’album l’allure d’un énième récit érotico-horrifique, alors qu’il a le potentiel d’être bien plus. Fort heureusement, l’album profite d’un artiste en accord avec le ton du récit. Leandro Fernandez possède un style adapté au genre. Il se repose sur des effets d’ombres créateurs de contrastes, dissimulant intégralement ou partiellement les créatures, participant pour beaucoup à cette sensation oppressante et dérangeante.
On ne peut parler de réel plaisir de lecture en refermant cet album. Ni même d’une certaine beauté dans sa réalisation. Mais, réside au fond, une réflexion dérangeante à déceler le message derrière ces étranges créatures et ce mélange troublant des genres. La Discipline est sans équivalent et a ce mérite d’être une expérience de lecture comme aucune autre. Et qu’on souhaite s’essayer à cette bizarrerie, nous sommes forcés d’avouer ô combien il est rare de rencontrer un comics du genre capable de fournir un pareil effet.