• Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Critiques
  • Commentaires de la publication :0 commentaire

Parmi les titres de comics indépendants récompensés, le duo Ed Brubaker et Sean Phillips ressort régulièrement. Leur alchimie a permis la création de nombreux titres recommandés comme Kill or Be Killed, Criminal ou encore, celui qui nous concerne, Fatale. Créé en 2012, ce titre a conservé ses mystères jusque 2014. Mais Fatale continue de passionner et génère des sursauts chez les lecteurs de comics. Chaque réimpression entraine un vent de découverte et un déferlement de coups de cœur. L’éternel retour et l’obsession sont autant les mécaniques propres à Fatale que les effets provoqués chez les lecteurs.

Obsession Fatale : Le film noir

ed brubaker sean phillips delcourt

Les auteurs se concentrent sur l’idée d’un flou total dans lequel on se plonge avec, pour seul repère, Nicolas Lash, un homme perdu suite au décès de son parrain. Le soir de l’enterrement, alors qu’il s’appuie au bar, il rencontre une femme du nom de Jo. Intrigué par ses non-dits, subjugué par sa beauté, Nicolas développe une obsession pour celle qui semble toujours lui échapper. Il va dès lors tenter de percer les mystères qui entourent cette créature sensuelle.

Il va s’en dire qu’une fois de plus, Brubaker et Phillips vont puiser leur inspiration du côté des films noir. Ce genre classique du cinéma n’est pourtant plus si courant. Il n’en reste même que certains codes et stéréotypes. Le duo a su se l’accaparer, en faire leur genre de prédilection. Comme un univers artistique propre à ces auteurs, nourri de nombreuses références aux grands classiques du cinéma, notamment celui de Hitchcock.

Fatale Sean Phillips

Avec le recul actuel, nous savons que l’exploitation du film noir ne s’est pas arrêtée là chez le duo. Il est parvenu à se renouveler aisément. C’en est déjà le cas ici avec un apport du fantastique passionnant, dérangeant, empruntant cette fois-ci à l’univers littéraire de H. P. Lovecraft et à ses cauchemars. Un mélange absolument parfait, apportant du crédit à l’étrange et une forme surnaturelle à ces nombreux mystères. Fatale est donc bien plus qu’une unique référence au film noir. Il est un hommage au Pulp dans son ensemble. On y retrouve le rapport au Mystery, au fantastique et horrifique Lovecraft, au genre Noir, mais également un léger soupçon d’heroic fantasy.

Réinventer la femme fatale

Fatale s’écarte de toutes les autres créations du duo. Elle explore de manière très originale, un élément essentiel du film noir, si cher à ces artistes : la femme fatale. Jo devient rapidement le cœur de l’intrigue, l’élément clé après lequel de nombreux personnages courent. Une manière pour Ed Brubaker de renouveler le personnage type de la femme fatale tout en lui restant fidèle. Ainsi, le type de la femme fatale va jouer avec nos attentes et observer, impuissant, tel un satellite, le pouvoir séducteur de Jo.

fatale jo delcourt

La femme fatale n’est pourtant pas un personnage enfermé dans un caractère préconçu. Au contraire, elle peut être malchanceuse comme malveillante, victime et/ou manipulatrice. Avec ce récit, Brubaker va réussir à dépeindre une variété de caractères chez Jo. Et ceci, tout en développant, chez le lecteur, une forme d’obsession et de curiosité pour elle.

Toujours en danger, appelant des hommes épris d’elle à son secours, Jo fait de la séduction une arme redoutable. Plus encore, l’histoire développe tout un mysticisme autour de cet envoutement naturel que dégage le personnage, entre bénédiction et malédiction. En enquêtant sur les mécanismes de l’attraction, les scénaristes nous enfoncent dans une brume toujours plus épaisse jusqu’à ce que le surnaturel nous saute au visage.

Quatre mains, un esprit

La création pousse certains esprits à se croiser, à réaliser qu’ensemble, ils peuvent évoluer et s’inspirer mutuellement. Voilà ce qui lie Ed Brubaker et Sean Phillips. Une passion pour le cinéma, une passion pour les comics et une vision de la narration toujours plus efficace, toujours plus visuelle. Ed Brubaker laisse de l’espace à l’image et Sean Philipps donne du sens à son dessin.

L’image n’est pas qu’une illustration. Si Ed Brubaker a tendance à proposer de nombreuses cartouches, laissant le narrateur nous apporter les informations, le dessin de Philipps se charge de sens et apporte toujours des informations complémentaires au texte. Jamais de répétition. Toujours ce sentiment de fluidité et de légèreté à la lecture de ce comics pourtant profond et à la narration très travaillée.

fatale delcourt comics

Sean Phillips incorpore à l’histoire toute sa relation avec le septième art. On trouve bien souvent des pages découpées en trois cases longues, parfois même pour ne représenter qu’un seul plan et mimer un effet de traveling au format 16:9. En plus d’un rapport cinématographique, Sean Phillips instaure des ombres dominantes. Un ambiance sombre qu’on lui connait, mais qu’il parvient à rendre pertinent. D’un côté, son réalisme sombre appuie la cruauté anodine de certaines scènes. De l’autre, il développe également un registre horrifique dérangeant. Finalement, très fidèle aux visions cauchemardesques de Lovecraft où la terreur paralysante du surnaturel surgit dans une description réaliste de notre monde.

Par cette collaboration, jusqu’ici sans faille, Fatale intègre le palmarès de ces deux compères. Une étude brillante du personnage type de la femme fatale. Une association originale entre le pulp noir et l’horreur lovecraftienne. Une remise au goût du jour fidèle de ces genres jugés obsolètes qui, pourtant, passionnent toujours. Comme une obsession dont on ne démord pas.

Laisser un commentaire