1975, un étrange personnage fait son apparition : Moon Knight ! Si nous connaissons aujourd’hui diverses lectures essentielles, reste à savoir comment le personnage a été créé. Comment s’est-il construit ? Comment est-il devenu le héros que nous connaissons aujourd’hui ? Et pour ça, il sera essentiellement question de comics écrits par son créateur, Doug Moench, et son dessinateur fétiche, Bill Sienkiewicz.
Comment a été créé Moon Knight ?
En 1972, le CCA (Comic Code Authority) allège certaines restrictions imposées aux maisons d’édition. Marvel en profite alors pour se constituer un bestiaire horrifique, dont un loup-garou. Werewolf by Night était devenu un titre de monstre sur lequel est appelé le scénariste Doug Moench. Pour le bien d’une aventure, l’auteur a besoin d’un antagoniste à apporter au loup-garou. Mais l’ennemi d’un loup-garou ne doit pas ressembler à un « méchant » de super-héros. Moench décide alors de créer un anti-héros plutôt qu’un réel bad-guy.
L’auteur imagine un personnage associé de plusieurs manières au loup-garou. Tout d’abord, il pense à la lune. Élément déclencheur de la transformation, ce symbole créerait une dualité évidente. De cette idée, il est décidé que le costume serait composé de blanc et de noir en référence au satellite.
Toujours inspiré par la relation logique au loup-garou, Moench se dirige vers les origines du mythe et la matière médiévale. Cet anti-héros serait un chevalier. Il pense alors à une cape, comprenant une capuche et à des gants en métal recouverts de pointes. Le matériel en métal fait écho au point faible du loup-garou, l’argent. Doug Moench s’inspire également de l’armement utilisé par les gladiateurs.
La lune. La chevalerie. Parmi tous les noms imaginés par Doug Moench – une quinzaine – Moon Knight a rapidement été adopté et validé par l’éditeur du titre, Len Wein. Moon Knight naît sous les traits d’un chasseur de prime. Dans un premier temps, il affronte le loup-garou, jusqu’à se retourner contre son client, lorsqu’il réalisera l’injustice commise.
Retour imprévisible : la face cachée de la lune
Après Werewolf by Night #32-33, Moon Knight s’enfuit. Si la conclusion laisse le lecteur imaginer le personnage rôder dans les parages, son créateur n’avait pas l’intention de le faire revenir. C’était sans compter sur l’intervention de Marv Wolfman – très bon ami de Len Wein. Wolfman avait beaucoup aimé Moon Knight et propose à Moench de lui faire vivre ses propres aventures en solo dans la série Marvel Spotlight. Wolfman y tient le poste d’éditeur et démarche des artistes acceptant de produire des histoires le temps d’un numéro ou deux.
Moench accepte sans hésiter. Il se dit qu’après tout, il voyait Moon Knight comme un anti-héros. Et si il l’avait surtout présenté comme un opposant, il pouvait très bien développer l’image de héros.
Dès le début, Moench avait intégré chez Moon Knight cette idée de héros mercenaire. Cependant, plutôt que d’en faire un homme vendant ses services, il préfère faire de Moon Knight une sorte de mercenaire repenti. Une première évolution dans l’écriture, mais également dans le design.
Moench impose des modifications au costume pour rendre le personnage moins agressif. Que ce soit pour le costume ou les détails liés à l’armement, l’artiste Don Perlin a du suivre les listes établies par le scénariste. Avec Marvel Spotlight #28-29, l’univers de Moon Knight trouve ses premiers repères.
Marc Spector et ses drôles de personnalités
Moon Knight est donc un justicier, mais aussi un corps demandé par 3 personnalités : Marc Spector, le mercenaire, Jake Lockley, le chauffeur, et Steve Grant, le mondain. Pour Moench, il est évident que Marc Spector est la personnalité principale. Il s’agit de la plus problématique. Moon Knight est un justicier qui doit vivre avec la personnalité d’un mercenaire. Il est en quête de rédemption, assumant la responsabilité des actes commis par Spector.
Pour distinguer ces différentes personnalités et en faciliter l’écriture et la compréhension, Moench pense à créer des personnages secondaires. Chacun fait appel à une personnalité différente. Marlene cherche la compagnie de Steve Grant. Frenchie, celle de Marc Spector. Et on oublie trop souvent Gena, la serveuse, et Crowley, le sans-abri, qui s’adressent à Jack Lockley. Malgré cette division, l’univers de Moon Knight trouve sa force dans ce lien subtile qui les unit : le handicap du justicier.
Son activité est une forme de folie qu’il partage autour de lui et que les autres acceptent, quitte à se mettre en danger. Dès Marvel Spotlight #29, Marlene se retrouve suspendue au dessus d’un bassin d’alligators. C’est là une grande différence entre Moon Knight et Batman : Moon Knight ose se révéler au monde et partage son secret avec un éventail de personnages secondaires.
En 1979, Moon Knight trouve sa place en back-up dans Hulk Magazine (également appelé Rampaging Hulk), un comics grand format en noir & blanc. Moench y officiait déjà en tant que scénariste sur l’histoire principale de Hulk. Son éditeur, Ralph Macchio, lui demande s’il peut s’occuper également des back-up. Il en profite pour lui suggérer d’écrire des histoires de Moon Knight. Doug Moench s’exécute. Sans le savoir, il allait faire la connaissance d’un très bon ami et permettre à Moon Knight de rencontrer son artiste fétiche.
L’artiste associé à Moon Knight : Bill Sienkiewicz
A quoi bon se mentir ? Lorsqu’il s’agit d’un back-up, Marvel ne va pas passer commande à un grand artiste, alors que n’importe quel dessinateur ferait l’affaire. Il est plutôt question d’un débutant. Et c’était totalement la position qu’occupait Bill Sienkiewicz à l’époque. Il était jeune, sortait tout juste de ses études et rêvait de dessiner des comics. Il a envoyé son portfolio à son artiste favori, Neal Adams. Ce dernier va l’envoyer à Jim Shooter qui l’invitera à grandir les rangs des artistes de chez Marvel.
Fraichement arrivé chez Marvel, Len Wein lui dit qu’il cherchait justement quelqu’un pour un titre super-héroïque. Bill Sienkiewicz se voit dessiner Spider-man ou Hulk. Il se retrouve avec Moon Knight. Un héros dont il n’avait jamais entendu parler. Lorsqu’il demande à Len Wein de qui il s’agit, l’éditeur lui répond qu’il n’a qu’à le voir comme un Batman façon Marvel. Une réputation qui colle toujours à la peau du personnage aujourd’hui. Et ce conseil donné à Bill Sienkiewicz y est sans doute pour quelque chose.
Bill Sienkiewicz va faire avec Moon Knight tout ce dont il a rêvé de faire avec Batman : jeux avec une cape longue, visage fondu dans des ombres opaques, gadgets et arts martiaux. S’il débute, il est impliqué. Il insiste auprès de Doug Moench pour modifier le costume de Moon Knight. Il lui retire ses gants métalliques et demande à retirer cette liaison entre la cape et les gants.
Moench refuse dans un premier temps. Il tient à ce que son personnage conserve ce jeu sur le symbole de la lune. Or, pour Bill, ce détail l’empêche d’utiliser la cape comme il le souhaite. Après avoir cédé, Doug Moench reconnaît en Bill un artiste investi et talentueux.
Conséquence de ces premières initiatives, l’anti-héros trouve un certain succès. Après 7 épisodes dans Hulk Magazine, Moon Knight décroche sa série régulière en 1980. Une nouvelle surprise pour Doug Moench, et son compère des années 80 – ils travailleront également ensemble sur les Fantastic Four par la suite.
Le jeune dessinateur débutait – tout comme Moon Knight. Là où Moon Knight trouvait ses repères, construisait son univers, Bill Sienkiewicz expérimentait son style à chaque numéro. Il va se trouver une identité propre, tout en l’offrant au personnage. Son inspiration première qu’était Neal Adams va l’entraver dans un premier temps. Il verra autour de lui des artistes répéter cet héritage – comme Mike Grell. Bill Sienkiewicz a du trouver une autre manière de se distinguer. Et il a pu compter sur Moon Knight pour l’inspirer.
Bill Sienkiewicz transforme son dessin, le détaille de plus en plus. Il travaille sa mise en page et recherche une narration toujours plus dynamique et surprenante. Par la suite, il abandonne sa quête de détail pour se trouver un style aux antipodes de Neal Adams avec un dessin de plus en plus abstrait. Quoi de mieux pour représenter un personnage à l’esprit torturé et dont la représentation du réel ne peut être que floue, vue à travers le prisme de la folie ?
S’il joue sur de nombreux aspects avec Moon Knight comme il l’aurait fait avec Batman, Bill Sienkiewicz met bien en avant la fragilité du personnage. Il est un avatar d’un dieu égyptien. Il n’est pas une divinité sans faille. Il est un ancien mercenaire, humain. Il prend des coups. L’artiste développe même une tendance à représenter Moon Knight en mauvaise posture – notamment sur les couvertures.
Y a-t-il un Moon Knight sans Konshu ?
Le plus étonnant dans le Moon Knight des années 80 est qu’il n’a que très peu de connexions avec la mythologie égyptienne. La mention de Konshu n’est finalement qu’un prétexte à la réincarnation, à l’apparition mystérieuse de trois personnalités au sein d’un même corps. Moench et Sienkiewicz se sont intéressés à la mythologie et à la culture égyptienne sur le tard, au fil de l’écriture de la série régulière.
Konshu deviendra éventuellement une solution auprès de Marc Spector dans sa quête de rédemption plus tard. Knoshu tiendra une place importante à partir du second volume en 6 numéros Moon Knight (1985). Pas une histoire de Doug Moench, mais de Alan Zelenetz (Alien Legion) et Chris Warner (Predator). Cela mène à l’intégration de Moon Knight au sein de l’univers Marvel, notamment dans West Coast Avengers (#21, 1987) de Marc Gruenwald, mais aussi quelques interventions dans les séries Marvel Team-Up et les Defenders.
Si Moon Knight ne dépend pas de Konshu, le héros dépend de se qui le caractérise : ses différentes personnalités. Konshu représente une éventuelle personnalité confuse et exotique. On peut se demander s’il s’agit bien d’une divinité ou si ce n’est pas une personnalité de plus fantasmée par Marc Spector. Toujours est-il que si Moon Knight peut se passer de Konshu, il serait question d’effacer un apport considérable au personnage : une réévaluation de l’importance de Konshu. Car si Moon Knight (1985) a souvent été oublié, il s’agit d’un autre tournant qui mènera le personnage vers d’autres évolutions.