En 2016, Marvel mise sur les Inhumains, ce groupe d’êtres divins en marge, aussi rejetés qu’incroyables. Ils se trouvent au cœur des événements comme Inhumans VS X-men, Infinity, une vague de nouveaux titres apparaît pour moderniser ces personnages jugés jusqu’alors trop discrets. C’est dans ce contexte que nous revient Karnak, le temps d’une mini-série écrite par Warren Ellis et dessinée par Gerardo Zaffino, puis par Roland Boschi.
Réinvention fidèle, modernisation complète
Le scénario est incroyablement simple et parvient à réutiliser un concept généralisé par les comics, motivant l’intervention des Inhumains. Sur Terre, des Inhumains apparaissent. Intervient alors la question « Suis-je un Inhumain ou un Mutant ?« . Question identitaire intéressante s’il ne s’agissait pas que d’une énième excuse pour faire s’affronter des héros de l’univers Marvel. Dans cet album, Phil Coulson requiert l’intervention de Karnak pour une mission extrêmement dangereuse impliquant directement les inhumains. Pour éviter tout débordement et tenter de calmer les relations entre humains et inhumains, Karnak accepte d’enquêter. Et ce qu’il va découvrir va remettre en question ses motivations et développer un aspect introspectif.
Karnak est un personnage discret au caractère sombre, mais jusqu’alors catalogué comme un personnage kitsch, arborant fièrement un haut casque vert et une tenue blanche recouverte d’un plastron vert. Son caractère est une conséquence directe de son pouvoir. Karnak est capable de voir le point faible de son ennemi à tout moment. Il est par définition une arme mortelle au service des Inhumains. Tantôt sage, tantôt réduit à une condition guerrière, Karnak n’a jusqu’alors jamais connu de réinvention digne de ce nom.
Conséquence de la série télévisée qui donne au personnage une allure plus réaliste, reconnaissable grâce à quelques peintures de guerre vertes sur un visage découvert, Karnak trouve les bases d’un nouveau design en accord avec une nouvelle écriture. Warren Ellis fait de Karnak une sorte de Wolverine. Un personnage maudit par un pouvoir qui influence sa perception de la vie et un personnage utilisé par un organisme manipulateur, mais agissant pour le bien commun. Son pouvoir consiste à percevoir les failles, dans la défense des ennemis, dans les préceptes philosophiques, dans les systèmes économiques. Son regard est constamment focalisé sur ce qui ne va pas. Des points faibles contre lesquels frappent ses poings.
Sans plonger dans un pathos excessif, Karnak est un personnage qui apprend à accepter son pouvoir et ses conséquences. Ellis en fait un anti-héros, quelque peu sadique sur les bords. Ces points faibles ne sont pas des maîtrises inoffensives, mais dans attaques létales. Le royaume des Inhumains est un royaume sans pitié, et en cela, Ellis est en accord à la fois avec les exigences modernes de l’éditeur, remettant au goût du jour un personnage enfermé dans un costume depuis près de 50 ans, mais aussi avec l’héritage et l’esprit singulier des Inhumains.
Action intense pour une histoire réchauffée agréable
Au risque de révéler un élément important de l’intrigue, aussi légère soit-elle, l’Inhumain en question est présenté sous une forme physique de plus en plus utilisée. Dans Justice League United de Jeff Lemire, dans Uncanny X-Force de Rick Remender, dans Justice League de Geoff Johns, et j’en passe. L’originalité n’est pas le point fort de cette histoire, qui est avant tout une enquête bien ficelée, pour un dénouement métaphorique nous en apprenant plus sur notre anti-héros.
Une enquête, oui, mais avec une action intense. Et c’est ici que se démarque grandement Warren Ellis, et se trouve être, à mon sens, le meilleur scénariste pour un personnage tel que Karnak. Ellis sait écrire un titre d’action. Il sait sous quel angle celle-ci va avoir un impact sur le lecteur et transformer ces cases en écrans de cinéma. On sent un pouvoir d’immersion dès l’écriture, et c’est ce qui fait toute la qualité relevée dans son actuel Batman’s Grave.
Cette mini-série rappelle à certains instants le sadisme d’un Midnighter. Un personnage capable d’agir sans trop s’interroger sur les raisons de son action tant qu’il parvient à se trouver une utilité dans ce monde. Les connexions sont nombreuses. Et si on retrouve les ficelles de bien d’autres récits, Karnak tire sa spécificité dans son intensité, mais surtout dans l’écriture d’un pouvoir définissant son personnage et non l’inverse. Ellis prend à contre-pied le concept d’écriture d’un pouvoir accessoire pour en faire le caractère identitaire de son anti-héros.
Ainsi, si on peut se dire que Peter Parker pourrait rester lui-même sans ses pouvoirs, Karnak, en revanche, ne serait rien de ce qu’on connait de lui sans cette capacité agissant sur son identité. Il est un Inhumain parce qu’il est capable de reconnaître les failles en chaque chose. Si Karnak avait été humain, il ne serait tout simplement pas Karnak.
En poussant le concept du pouvoir identitaire et de l’inhumain à travers une enquête de prime abord tout à fait classique, Ellis l’amène jusqu’à ses retranchements, obligeant l’introspection de Karnak à se contenter d’être Inhumain. Et malgré toute la modernité qui se dégage de cet album, voilà un apport fabuleux à la création de Jack Kirby.