Après la publication de Green Lantern : Emerald Twilight, une question est apparue. Que s’est-il passé entre cet événement et Green Lantern Rebirth de Geoff Johns ? Hal Jordan a connu bien des transformations, et celle du Spectre est de loin la plus pertinente. On vous explique pourquoi.
Day of Jugment : origines du concept
1999, Geoff Johns scénarise JSA. L’équipe vient de vivre un crossover intense avec la JLA de Grant Morrison (en VF dans Justice League of America Tome 4) où Alan Scott se trouve forcé de libérer le Spectre, emprisonné dans la roche. L’esprit ne possède plus d’hôte. Sa vengeance est pure et, désormais libre, clos l’objet du crossover. Le Spectre disparaît.
Il revient par la suite, dans un crossover scénarisé par Geoff Johns et dessiné par Matt Smith (X-Files, Doctor Who). Le Spectre réclame vengeance. Corrompu par une colère l’ayant infecté, il en veut aux hommes qu’il considère tous comme des criminels et balaie tout sur son passage.
La colère est un autre esprit qui a été volontairement associé au Spectre par Neron, afin que le Spectre réclame un hôte et décide de partager avec lui ses pouvoirs. Hal Jordan fait son grand retour face à la situation de crise. Et lorsque le Spectre fait le choix de son hôte, Hal Jordan se porte volontaire se présentant non pas comme une victime comme a pu l’être l’hôte précédent, mais comme un criminel qui mérite d’être sacrifié. En ce sens, le Spectre accepte d’être la punition et le fardeau d’un ancien Green Lantern plein de regrets. C’est alors que commence une nouvelle existence pour ces deux personnages ne faisant plus qu’un.
Magie, Magie
Cette série de comics qui s’étale sur 27 numéros de 2001 à 2003 est complexe à saisir. Écrite par J. M. Dematteis (Justice League International, Spider-man, Doctor Fate) et dessiné par l’excellent Ryan Sook (Legion of Super-Heroes, Futures End), elle présente un personnage effectivement perdu et torturé par The Wrath, cette entité colérique présente en lui. On comprend rapidement qu’il sera question du retour de Hal Jordan et que sa rédemption va concerner son entourage personnel et ses amis justiciers dont il a perdu la confiance.
Cette situation dans laquelle se retrouve le héros est un reflet de l’ambiance générale du monde des comics. Les années 90 ont été les années où les héros étaient torturés. Plus ils subissaient de violence, plus ils se vendaient. La mort les guettait toujours de près ou de loin. Au début des années 2000, et notamment avec les récits de Mark Waid (Kingdom Come) et Geoff Johns (Hawkman, JSA), un rayon du Golden Age éclairait le début du millénaire avec le retour de personnages des années 40/50 dont le Spectre fait partie. L’heure de la rédemption et du retour en arrière a sonné.
Pour J. M. Dematteis, il est surtout question d’explorer la dimension familiale de Jordan qui a besoin de retrouver un contact humain perdu depuis longtemps. Il le trouvera surtout avec sa jeune nièce possédant une connexion avec le milieu surnaturel. Avec un scénariste très orienté vers les mondes magiques après avoir travaillé sur Doctor Strange et Doctor Fate, le Spectre est un style bien plus confus qui nous échappe, à nous comme au héros.
Son nouveau rôle lui donne accès à des endroits inconnus de tous. L’action n’est jamais véritablement intense, et les personnes les plus vulnérables sont toujours secondaires. Jordan restant humain, il possède de nombreuses failles et limites de l’ordre du sensibles associé à un manque de connaissance de l’univers magique. Dematteis nous perturbe, se joue de cet inconnu comme pour nous impressionner. En gardant et en disséminant quelques bribes d’explications ci et là, le lecteur risque de lâcher prise, à raison ou à tort.
Un Spectre pas comme les autres
Une fois cet univers magique perturbant et ces mondes cachés acceptés, le titre renoue avec ce qu’on pourrait attendre d’un titre du Spectre. Un titre horrifique d’un défenseur de l’univers agissant sur des individus précis. La première intrigue concerne The Wrath que le héros ne supporte plus. Par divers moyens et interventions magiques, ce nouveau Spectre parvient à s’en débarrasser, assisté par nombre d’autres personnages. Ce premier arc a beau être confus, il déborde de sens.
En 1974 les aventures du Spectre sont publiées dans Adventure Comics (#431-440). Connus pour leur violence choquante à l’époque où le Comics Code Authority était de mise, ces numéros seront par la suite réimprimés dans ce qui deviendra The Wrath of the Spectre. Dematteis part alors du principe que cette colère et cette violence est une part du Spectre dont Jordan doit se débarrasser. Et en cela, le scénariste fait ressortir ce qu’il y a de meilleur en Hal Jordan : un homme vulnérable doté d’une volonté capable de redéfinir une entité aussi puissante. Le Spectre entame alors un parcours initiatique pour le titre d’esprit rédempteur et perd toute notion de vengeance.
Ainsi, le Spectre n’est plus un esprit vengeur rendant une justice violente. Il rend justice en essayant d’agir en héros, en réparant ces personnes brisées. Plus l’histoire progresse sur les rails de la rédemption, plus notre esprit vengeur fait preuve de compréhension et de compassion.
Pour une humanité retrouvée
Dematteis comprend bien que Hal Jordan n’a rien d’un Jim Corrigan. Il possède une famille bien vivante, dont il a besoin pour conserver (ou retrouver) de son humanité. Il est un policier d’un autre genre et dans un tout autre domaine. Le scénario fait transparaître ce caractère bien plus optimiste sous cette capuche de mélancolie et procure à Jordan une rédemption positive qu’il mène à sa manière. Le Spectre devient une figure inspirante donnant le pardon comme dans le #11 après que Jordan ait accepté ses différentes facettes, y compris les pires.
Comme à son habitude, J. M. Dematteis surprend toujours dans ses numéros secondaires. The Spectre #5 est une histoire complète où Two-Face réalise un braquage. Dans l’une de ses interrogations, sa pièce l’oblige à demander pardon pour le mal commis. Le Spectre l’entend et décide de le guérir de son trouble. S’en suit une thèse autour du mal-être et de la dépendance de Harvey Dent à son autre moitié. Un récit troublant et lourd de sens où le héros et le criminel se reflètent l’un dans l’autre.
C’est en cela que ce titre excelle. Il aborde des sujets humains avec une pertinence surprenante, le tout enveloppé dans un onirisme fabuleusement illustré par Ryan Sook dans les dix premiers numéros. Son style repose sur un jeu d’ombres et de lumière qu’il maîtrise en tout point et qu’il n’hésite pas à renverser à travers sa représentation de mondes différents.
Le titre multiplie les formes. Et loin de la colère du Spectre, il développe une aura apaisante. Ryan Sook tire sa révérence avec un véritable roman graphique au #13, où le texte littéraire est brut. Ce roman illustré aux métaphores bibliques évidentes interroge sur les éventuelles limites de la rédemption. A quel point pouvons-nous pardonner ?
Poser les bonnes questions au bon moment, voilà l’une des grandes qualités de ce titre à part dans l’histoire du Spectre comme dans l’histoire de Hal Jordan.
Virage cosmique
Ryan Sook est ensuite remplacé par Norm Breyfogle, l’un des plus grands artistes de l’univers de Batman dont le style s’accorde parfaitement à un Spectre plus classique. Avec son arrivée, le titre opte pour un aspect bien plus cosmique. La dimension magique s’atténue quelque peu. Difficile de dire s’il s’agit d’une adaptation au ton de l’esthétique désormais très colorée ou s’il s’agit d’une exploration du passé de notre ex-Green Lantern.
Dans les numéros #15-18 le scénario va jouer du passif de Green Lantern. L’exploitation cosmique rate quelque peu sa cible. Les Lantern ne semble pas perturbés par ce retournement de situation du plus grand traître de leur système. Si Dematteis met bien l’accent sur son thème plutôt que sur la vraisemblance des relations, le tout relève bien plus d’une forme de passage obligatoire afin de dire adieu à son passé honteux. Un point de passage plutôt étrange quand on sait que quelques années plus tard, Hal Jordan renfilera son anneau et remettra en avant l’univers des Green Lantern sous la houlette de Geoff Johns.
L’exploitation de l’univers DC ne s’arrête cependant pas là. Dematteis rebondit et use avec aisance de l’univers DC pour développer les thèmes recherchés avec une approche humaine étonnante. Au #19, Hal tente de défendre une esclave d’Apokolyps. Condamnée et par Darkseid et par Metron, Hal va tout faire pour sauver cette fille. Si elle ne demande pas de rédemption, Apokolyps est une planète meurtrière qui la réclame aux yeux du Spectre. Avec Metron, il va tenter de trouver une définition à la rédemption. Un numéro surprenant dans son idée de comprendre l’autre qui apporte une épaisseur supplémentaire à notre héros et creuse plus encore son sujet.
A partir du #20, retour sur Terre. Dematteis renoue avec ses intentions premières d’un Hal Jordan proche des hommes. S’en suit un arc opposant deux anciennes version à la fois de Hal et du Spectre comme témoignage d’une évolution positive. Si l’idée est intéressante, elle se trouve bien trop concentrée sur un affrontement physique qu’une opposition des caractères.
Religion et quête du bonheur : une conclusion idéale
Nous sommes en 2003. La cicatrice des attentats survenus deux ans auparavant reste ouverte. Le terrorisme est un sujet phare et toujours accompagné de l’entrée en guerre des Etats-Unis en Irak. Alors que les numéros hommages pleuraient les victimes, d’autres usaient du comics comme un exutoire. L’Irak, le nouveau territoire ennemi.
Dematteis propose quelque chose de plus réfléchi et traite ce sujet avec un recul surprenant. Un ancien terroriste doit rendre des comptes. Il a trahit tout ce qu’il aimait, causé la mort de nombreuses personnes et le réalise trop tard. Le Spectre tente de lui redonner espoir, de lui faire croire au pardon. Ayant connaissance d’une prise de parole face aux politiciens et membres d’état, d’autres membres terroristes prévoient une attaque. L’espoir jaillit des paroles de l’accusé qui parvient à convaincre son auditoire de sa bonne foi. Lorsqu’il évoque l’apparition d’une entité verdâtre, plusieurs personnes se lèvent et témoignent d’un même espoir.
Alors que tout semble prendre un chemin plus lumineux, les terroristes enfoncent les portes, armés de fusils d’assaut. Lorsqu’ils tirent, le Spectre apparaît et sauve ses protégés repentis. Ces attaques sous le motif de la religion ouvrent les portes d’un nouveau cercle créé par ces personnes témoins des apparitions d’une longue cape aux paroles réconfortantes apportant à la création d’une sorte de culte autour du Spectre diverses lectures très différentes.
On se retrouve partagé entre la joie et l’espoir d’un renouveau possible nous unifiant tous au travers d’un culte à l’effigie du Spectre. Ce groupuscule est une preuve d’un travail et d’un renouveau concluant. Les hommes peuvent changer. Une fin définit sous un jour positif, qui laisse planer certaines interrogations pleinement subjectives autour de la question de culte et de religion.
Le #27 retrace le parcours de Hal Jordan, en quête de son bonheur. Le regard braqué sur ce qu’il a perdu. Comment peut-il être heureux ? Alors qu’il pense que l’humanité est ce qui lui manque, parce que nous pensons toujours que le bonheur est loin, cette histoire courte nous laisse penser qu’il serait pet-être déjà dans nos bras.
Hal Jordan : The Spectre, à travers ses 27 numéros, est un moteur faisant évoluer deux personnages, réalisant un retour en arrière en créant quelque chose de neuf. Sous forme d’un récit initiatique teinté de philosophie, il agit étrangement comme une évolution chez Hal Jordan. Cet agent spatial ayant appris de son duo aux côtés de Green Arrow, cet archer qui lui rappelait sans cesse à quel point le monde des hommes va mal. Et c’est une fois acquis une puissance infinie qu’il s’attarde sur la vie de chacun et tente de réparer l’humanité, individu par individu.