Le Spirit, c’est le héros créé par Will Eisner dans les années 40. Le personnage iconique mêlant pulp et absurde dans une forme propre au génie de Will Eisner. Il brise les frontières des cadres. Il intègre le lettrage aux décors. Il renverse les codes et bouleverse l’expérience de lecture. Ce personnage est devenu le représentant de cette tendance expérimentale du neuvième art survenue dans les années 70. Et aujourd’hui, il est une licence voguant d’un éditeur à un autre, désormais détenue par Dynamite.
Pulp Fiction
En 2017, le Spirit passe sous la houlette de Francesco Fancavilla. Artiste italien, il se révèle notamment dans la première moitié des années 2010 en travaillant aussi bien chez DC (Batman : Sombre Reflet) que chez Marvel (Black Panther, Captain America). Mais il semble bien plus intéressé par l’éditeur Dynamite possédant de nombreuses licences old-school. Là bas, il travaillait sur Zorro, et réalisait des couvertures pour Lone Ranger, The Shadow, Green Hornet ou encore The Twilight Zone.
Passionné de pulp, sa rencontre avec le personnage du Spirit n’était qu’une question de temps. Et cette passion se ressent à travers son récit. Il suit une trame déjà vue et très simpliste composée de codes et stéréotypes de l’enquête policière des années 40. Un polar noir utilisant l’éventail de personnages propres à l’univers du Spirit.
Les habitués s’y retrouveront avec le taxi d’Ebony White et le Commissaire Dolan dans une Central City sous la pluie nocturne. Francavilla s’accapare ces petits codes pour les réutiliser lui-aussi. L’histoire se résume de bien des manières à une enquête ce qu’il y a de plus simple. Un vol amène à une affaire de disparition piquant la curiosité du Spirit.
L’enquête n’a rien de bien original. Elle surprend à peine mais cette enquête n’est là que pour servir une ambiance générale qui forme tout l’intérêt de cette lecture. Une ambiance pulp qui ne pouvait être servie que par ces clichés, et d’une certaine manière, par la vacuité de cette enquête. Car elle n’est qu’une aventure parmi bien d’autres dans la vie du Spirit.
Couleurs chaleureuses pour une nuit froide
Le pulp est un tout que Francavilla retranscrit avec brio. Une sensation prenante d’un suspense vain qui nous entraine malgré notre connaissance de ces codes. Mais user du Spirit uniquement pour son rapport au pulp, ne serait-ce pas une utilisation quelque peu réductrice ?
Le Spirit est né du pulp. C’est indéniable. Mais le Spirit tire son épingle du jeu de par sa constante expérimentation graphique. Il est un personnage se nourrissant de toutes formes nouvelles de narration.
Et Francavilla travaille bien plus son approche esthétique et sa narration graphique que l’originalité de son histoire. Gros plans sur les scènes d’action, onomatopées mêlées aux éléments en mouvements, il fond le texte dans l’effet de vitesse associant ainsi le son et l’espace. Des utilisations bien pensées, jusqu’à la typographie de celles-ci.
Tant de détails qui rendent hommage à l’univers de Eisner, mais pas à sa soif d’expérimentation. Là où Francavilla renouvelle le Spirit, c’est dans l’apport de style personnel, pleinement inspiré par le genre du pulp et de l’influence européenne. Mais The Corpse-Makers manque d’innovation. Il intègre, comme toute bande dessinée moderne, certaines innovations modernes. Mais il n’use pas du Spirit pour continuer à repousser les limites du neuvième art comme a pu le faire Will Eisner dans son désir de créer une littérature visuelle.
Et si les références ne manquent pas, Francavilla impose néanmoins son style et sa colorisation si singuliers. Des couleurs chaudes, toujours, qui viennent contraster avec toute cette pluie et ces environnements extrêmement sombres. L’action se déroule généralement dans des ruelles, des sous-sols ou sur une digue mal éclairée. Le jeu de lumière est constant, insistant bien sur cet aspect film noir.
Et c’est bien ce style, lié aux références et au soin apporté à la narration graphique qui procure tout l’intérêt de cet album. Francavilla parvient à livrer une nouvelle aventure du Spirit emprunte d’une fidélité absolue à son créateur. The Spirit : The Corpse-Makers est une mini-série réalisée par un fan et destinée à des fans, pouvant tout aussi bien faire office de point de découverte, du « super-héros » de Will Eisner.