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Il existe certaines histoires hors de tout. Des histoires qui divisent au point de créer des clans. Et avec ces clans, bien souvent, une majorité l’emporte. L’un des cas d’école à ce propos dans le monde des comics est One More Day. Ce récit vient clore le run magistral de J. M. Straczynski sur le personnage de Spider-man et s’accompagne avec une collaboration incroyable entre ce scénariste de renom et l’artiste/éditeur Joe Quesada.

Tout devait aller pour le mieux, mais l’histoire racontée va entrainer un déferlement de haine, en plus de changer à jamais l’avenir de Spider-man. Au delà de cette haine, celle-ci ne dissimulerait-elle pas quelques qualités enfouies et masquées par l’effroi d’un public bouleversé ?

Qu’est-ce que One More Day ?

Lors de l’événement Civil War, Spider-man révèle son identité face aux caméras pour se montrer en exemple du recensement de Stark. Le Caïd engage alors Jake Martino pour tuer Peter Parker. Prévenu par son sens d’araignée juste avant le coup de feu, il se jette à terre avec Mary-Jane, mais Tante May est touchée. Après quoi, Peter endosse à nouveau son costume noir, comme outil de prévention d’une action plus violente auprès de ses adversaires et joue la carte de l’intimidation. L’état de Tante May s’aggrave. Et lorsque ses heures sont comptées, alors, arrive One More Day.

May civil war quesada

Peter se retrouve dos au mur. Jeune adulte n’ayant perdu personne d’autre que son oncle Ben, il pense pouvoir duper la mort. Ce qui l’enferme dans une forme d’innocence et le plonge dans un caprice. Il est un sauveur et un enfant qui refuse de perdre sa mère. Ses pouvoirs lui ont permis de tout lui rendre accessible, fort d’une philosophie qui lui a été transmise. Une philosophie qu’il a fait sienne, mais qui n’est pas la sienne. Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Mais lorsque nous n’y pouvons plus rien, la culpabilité guette.

Huis-clos avec Mephisto

One More Day va se concentrer, comme très peu de comics le font, sur le couple et va révéler un Peter Parker désespéré, trahi, à bout. Dans une première partie, le comics fait de l’exposition et va se tourner très rapidement vers une solution en la personne de Mephisto. Le décor disparaît. Les fonds sont d’un noir uni et reflètent un lieu hors de l’espace-temps. Seule une légère lumière chaude fait apparaître les visages des trois personnages. Il s’agit d’un huis-clos où le seul gagnant est déjà connu et où le couple se referme sur lui-même.

mephisto

On nage en pleine tragédie. Le destin est scellé, mais le héros refuse de le suivre pour, au final, s’y résoudre. Il réalise qu’un sacrifice est à faire. Et sur ce point, One More Day vient gifler les codes du super-héros lambda – volonté même de l’éditeur/dessinateur Joe Quesada. Pas d’ennemi à affronter, pas de résolution par les poings. Spider-man est impuissant, c’est à Peter Parker d’agir.

Le super-héros, dans sa philosophie, dans ses codes et ses valeurs se doit de se sacrifier pour autrui. Et Peter pensait pouvoir réaliser ce sacrifice pour sa tante. Mais Mephisto se trouve être bien plus malin et comprend bien l’héroïsme dont Peter fait preuve, et se considère perdant en acceptant son âme.

Plus que sa vie, c’est son couple qu’il devra sacrifier. Un sacrifice immatériel et plus important que tout. Et face à ce dilemme où Peter doit choisir entre sa femme et sa tante, notre héros se retrouve impuissant. Le héros s’efface et laisse place à l’individu sous le masque. Se révèle alors un Peter Parker oscillant entre le désir égoïste de conserver sa tante, incapable de prendre une décision, jusqu’à ce que Mary-Jane sauve Peter du fardeau de l’ultimatum.

La forme de l’oubli

Peter Parker MJ Quesada

Dans la forme, le dessin de Joe Quesada a tendance à se vouloir spectaculaire, grandiloquant. Mais ici, il s’adapte à cette tonalité tragique et effectue un jeu brillant de gros plans, généralement focalisés sur les échanges de regards. Le dessin concentre notre attention sur les dialogues. Et au même titre que le rapport à l’occulte, l’écriture se veut chaotique. Les mots se perdent, l’hésitation est partout et la décision est douloureuse à prendre. Une forme théâtrale du comics, sur une scène sombre, inédite où la relation se trouve être au cœur d’un enjeu colossal.

Ces qualités touchent surtout l’histoire dans son plot et sa forme. Reste encore à comprendre pourquoi ce récit est si mal-aimé. Et ceci concerne surtout le contexte et une mauvaise réception d’un élément donné. Car malgré sa mauvaise réception, ce récit intègre un run ayant entretenu ce traitement choc d’un Spider-man en constante réécriture.

Marche arrière forcée ?

Les années 2000 ont été marquées par une modernisation continue de l’araignée. D’un côté, l’univers Ultimate qui propose de moderniser le personnage. De l’autre, J. M. Straczynski réinvente le personnage, établit des connexions, et joue avec la mythologie du personnage.

Le scénariste provoque et jouait déjà avec des éléments irritables. Entre autres, il réutilise Gwen Stacy et fait graviter des révélations étranges. Mais cette provocation se retrouve dès l’origine du run avec Ezekiel et une révision des origines des pouvoirs de Spider-man. Avec ces sujets ambigus le lectorat se scinde. D’un côté, les lecteurs enjoués, de l’autre, ceux qui refusent cette modification importante de Spider-man.

Toujours dans un certain parti pris et la liberté laissée au scénariste, l’éditeur Joe Quesada se retrouve dans une situation où Spider-man accumule les modifications. Il allait falloir revenir sur un terrain neutre pour que les lecteurs puissent renouer avec le personnage dans une version classique. S’ajoute à ça, son idée de rompre le couple présent depuis plus de 10 ans. Un tour de force que Quesada pense pouvoir inclure avec la plume de Straczynski pour définir une forme de retcon de l’univers Spider-man avec la conclusion du run.

Motivation éditoriale = récit catastrophique ?

Le récit ne fait, en soi, que répondre à une volonté éditoriale, où Straczynski fait le ménage pour ses successeurs du fameux Brand New Day. Nous avons, peut-être, tendance à résoudre One More Day à sa fonction éditoriale. Bien sûr, il s’agit d’une commande. Et cette fonction transpire à travers tout le titre tant il ne vise à rien d’autre qu’à séparer un couple auquel les lecteurs sont attachés depuis plusieurs dizaines d’années. Et cette réaction sanguine rappelle une autre histoire de couple brisé.

Spider-man One More Day Mary Jane

1973, Gwen Stacy meurt, alors que Spider-man tentait désespérément de la sauver. Le scénariste, Gerry Conway est menacé de mort à travers les Etats-Unis par de nombreux lecteurs. Pour autant, aujourd’hui, ce numéro est un classique en la matière. Et quel en était l’intérêt ? Purement éditorial. L’éditeur Roy Thomas cherchait à tuer un personnage de l’univers Spider-man. Et alors que Gerry Conway, ami très proche de Roy, pensaient à Tante May, John Romita Sr. souffla l’idée de tuer Gwen Stacy.

Aujourd’hui, One More Day n’a de toute évidence pas l’aura, ni l’importance de la mort de Gwen Stacy. Parce que One More Day est assurément un acte manqué. One More Day souffre d’un défaut capital qui, à mon sens, lui a fait perdre son statut de récit marquant : sa connexion à l’univers partagé, et plus précisément, Civil War.

Univers partagé : Est-ce nuire au microcosme ?

Le couple est un petit monde. Et One More Day le représente avec brio, dans ce qu’il a de plus cauchemardesque. Ce petit monde touchant Peter Parker, et non plus Spider-man, est bouleversé et va faire ressortir un Peter Parker égoïste. Il s’empresse dans le premier numéro de s’infiltrer dans la tour Stark et affronte Iron Man qu’il tient pour responsable, en sachant pertinemment qu’il est le seul fautif.

Tony Stark Iron Man

Abattu par l’insensibilité de Tony, Peter se tourne vers le Dr. Strange qui lui révèle qu’aucun remède n’est envisageable. Sur ce point, l’univers partagé profite à l’intrigue. Elle permet un raccourcis avec le Dr. Strange. Elle apporte un regard plus terre à terre avec Tony Stark, plus sombre, plus réaliste. Un regard d’adulte capable d’accepter la mort, alors que le jeune Peter n’y parvient pas.

Mais la connexion à l’univers partagé créé une forme d’instabilité à l’origine même de l’intrigue. Tante May, gravement blessée par balle après la révélation de l’identité de Spider-man. L’histoire n’avait pas de réel intérêt à blesser Tante May de cette manière. Ca nuit au cercle personnel de Spider-man. Il aurait suffit d’un effondrement, d’un arrêt cardiaque, d’un AVC. Il aurait fallu que l’ordinaire frappe la vie spectaculaire de Spider-man pour soutenir l’écriture du couple touché par la perte d’une personne aussi importante. L’aspect surréaliste de la chose apporte un contraste trop marqué et

La retcon est totalement prévisible au vu des nombreuses modifications apportées. Il faut que le monde oublie que Peter Parker est Spider-man. Il faut que Tante May soit sauvée. One More Day assume le poids d’une série de décisions osées, mais à la solution bien trop facile. Et on voit en cette conclusion, une solution toute trouvée pour revenir à un Spider-man ordinaire, effacer toute conséquence. Et bien sûr, l’histoire dans son rapport à l’univers partagé se perd et n’est qu’une plate excuse à revenir, sans surprise, au fameux statut-quo.

Spider-man : le cœur rompu de l’araignée… ou du lecteur ?

Le lecteur se retrouve avec la frustration de revenir au point de départ, mais avec une destruction passée sous silence. Comment peut-on détruire un couple à ce point ? Comment peut-on enlever à Spider-man un élément devenu aussi essentiel, et en effacer toute trace ? One More Day frappe là où ça fait mal, notre attachement envers un couple iconique. Et supprimer de l’histoire, de la mémoire de ces personnages les souvenirs conservés par les lecteurs ne fait que rendre l’histoire plus tragique encore, là où certains n’y voient qu’un cruel manque de respect.

One More Day Joe Quesada

Et si One More Day n’était pas justement un récit bien trop efficace ? Un récit proposant quelque chose de plus personnel. Un déchirement intense qui nous révolte, et pourtant en accord avec l’idée de sacrifice, la représentation d’un couple prêt à tout qui affirme le caractère incroyable de leur relation. Parce que Mary-Jane renoue avec son image de modèle inatteignable, de caractère imprévisible, une force indépendante et pourtant en accord avec les valeurs héroïques de sa moitié. Une écriture la rendant bien plus intéressante que le love-interest qu’elle était venue remplacer.

One More Day ne peut laisser indifférent. C’est l’oubli, l’appel de la nostalgie, une évocation de la rupture à travers un couple prêt à tout pour l’autre. Trop rapide, maladroit et souffrant de sa connexion avec l’univers partagé, One More Day est instable, mais porte des qualités rares pour un comics de super-héros. Des qualités, peut-être difficiles à percevoir.

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