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La première image qui nous vient lorsqu’on parle de comics, ce sont les super-héros, ces personnages iconiques qui distingue la bande-dessinée américaine de la bande dessinée européenne et du manga. Tout ceci tend à changer avec la mise en avant de comics indépendants, dans une sorte de mélange entre la bande-dessinée américaine reconnue par les élitistes (qui se résume pour une grande partie à des Graphic Novels) et les comics mensuels. En France, Delcourt n’est plus le seul éditeur à mettre en avant des productions indépendantes. Urban Comics profite des succès indépendants avec entre autres Saga, Black Science et des récits complets, comme c’est le cas de l’album qui nous intéresse : God Country.

FAIRE NAÎTRE L’ESPRIT GUERRIER

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Des grands talents de plus en plus mis en avant et désormais reconnus, Donny Cates est un scénariste des plus impressionnants actuellement. Ayant livré un Thanos plus puissant que jamais, le scénariste vient de mettre tout le monde d’accord avec son run sur la série solo VenomGod Country marque son deuxième travail dans le milieu, et avec ça, le début de son ascension. Titre indépendant, Donny Cates n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà fait preuve de certaines capacités, dont celle de provoquer des scènes d’action intenses. Cette intensité ne se limite pas à une esthétique, un choix des plans et des angles, réussis ou non. Donny Cates manipule l’action dans son écriture, la fait naître de l’émotion. Tel un mangaka en recherche de climax pour son shônen lambda, Donny Cates va faire ressortir cet esprit combattant de ses personnages pourtant cloisonnés dans une forme de réalisme.

Donny Cates va rendre la réaction violente de ses personnages à la fois crédible et burlesque. Justifié par les situations critiques qui se multiplient, tous ses personnages sont menés à se battre à un moment ou un autre. Ce qui ne veut pas dire que ses personnages sont bourrus, bien au contraire. Les personnages présents sont des profils typiques d’une famille américaine moyenne, dépassée par les événements, mais qui se doit de faire face pour survivre et rester ensemble, et soudée autant que possible.

Histoire Intimiste

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Car contrairement à ce qu’on pourrait penser, God Country est une histoire de relations familiales. Une histoire qui, par bien des aspects, noue avec le fantastique et le surnaturel, mais ne s’éloigne jamais de son thème principal : la famille. Bien plus intime que ne le laisserait penser sa couverture, son allure de récit épique n’est que partielle, accessoire esthétique et métaphore partagé avec un autre chef d’oeuvre du comics indépendant, I Kill GiantsGod Country traite de la jeune famille Quinlan, dont Roy, le père, va rejoindre son père, Emmett, victime de la maladie d’Alzheimer. Il est rejoint par sa femme et sa fille. Donny Cates joue de certaines stratégies scénaristiques plus ou moins efficaces, dont la première est de limiter la focalisation sur le personnage principal. D’un premier chapitre focalisé sur Roy, le changement vers Emmett bouleverse nos attentes au même titre que ce réalisme perturbant sous lequel se présentait le récit.

Le véritable charme est l’écriture d’un monde incroyablement vraisemblable dans lequel va s’imbriquer et s’imposer une part de fantastique apportant plus de sens aux problèmes réels. Dans le premier chapitre, un policier et ami de Roy lance un long débat autour du comportement à adopter face à un proche victime d’une telle maladie, incurable. Celle qui transforme malheureusement une personne à laquelle on tient, en charge lourde à porter, mais dont on ne peut se résoudre à se séparer. Face à la difficulté de la situation, et de certaines scènes ordinaires, mais choquantes, un choix est à faire pour Roy. L’histoire pourrait s’arrêter là, et se résoudre à traiter du remord, quelque soit le choix fait. Mais Donny Cates va y implanter une fonction fantastique toute aussi impressionnante que déjà vu.

ECRIRE LE FANTASTIQUE

Le scénariste va permettre à la famille de se reconstruire – dont le symbole est celui du foyer familial dont ils auraient dû se séparer au début du récit. Emmett trouve une épée magique par inadvertance, et celle-ci lui offre une seconde chance. A partir de là, l’élément fantastique va en amener d’autres, les rendre acceptables dans ce monde qui est le notre, et permettre à Donny Cates de mêler les genres. Fantastique, épique sur fond d’une ambiance pesante teintée d’horreur, God Country suit des événements pourtant assez peu logique.

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Sa narration fluide et sa progression finalement assez douce rend cet univers passionnant. Pour autant, un minimum de recul sur celui-ci peut le rendre repoussant, trop simple. Son format concis en cinq numéros le focalise sur la famille Quinlan – un point essentiel et très fort – mais l’empêche de développer une certaine profondeur des personnages secondaires. Nous n’avons pas l’habitude de voir Danny Cates opérer sur des récits de cet acabit. De ce fait, ce manque d’informations laisse passer toute cette dimension fantastique comme une métaphore, et procure au titre une lecture onirique des plus agréables.

Le scénariste s’associe à Geoff Shawn (avec qui il a officié sur Thanos) et Jason Wordie. Deux jeunes artistes issus de maisons d’éditions indépendantes. Une collaboration fructueuse pour ce titre, de par une maîtrise impressionnante des scènes d’actions. L’aspect épique est largement du au design des personnages fantastiques, aux formes angulaires, et aux postures héroïques. Ils parviennent à faire état de leurs capacités à travers une parfaite gestion des registres, sans jamais paraître abrupte ou soudain. En revanche, comme bien des artistes indépendants, ils se reposent sur une maîtrise générale de la case et de l’action, dans une représentation très horizontale évoquant la lame, renforçant les jeux de regard. Simple mais efficace, malgré une représentation manquant de détails, les artistes parviennent à créer une tension forte d’où naissent les émotions intenses de ce récit unique.

God Country est un titre bien singulier, la rencontre entre le rêve et le réel. Donny Cates a beau être considéré comme un scénariste ayant atteint des sommets, ce récit en aura été le premier. Outre son univers farfelu et son traitement des personnages déjà vu, il profite d’un thème choc qu’il parvient à amplifier et à faire raisonner en chacun d’entre nous. Une maladie capable de tous nous toucher, et dont les traitements sont rares. Donny Cates a visé un fléau de notre société actuel. Mais plus encore, une lutte passée sous-silence d’une grande partie du monde. Profondément intimiste, ce récit parlera à tous, effleurant une plaie ouverte dans chaque foyer.

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